Le terme « Zellige » désigne en arabe l’ensemble des carrelages, mais par un glissement de sens, nous l’associons principalement aux carrelages traditionnels de Fès, en terre cuite émaillée et minutieusement taillée. Ce rétrécissement de la définition ne me perturbe guère, tant ces carrelages symbolisent parfaitement l’essence du savoir-faire arabe dans ce domaine. Connaissant maintenant la véritable signification du mot, je ne peux m’empêcher de penser que tout se résume finalement dans ces petits carrés de couleur, chacun unique, jamais tout à fait identique à son voisin. Pour moi, c’est dans la version la plus sobre – une surface monochrome – que la singularité de chaque pièce s’exprime le mieux. Ici, rien ne vient détourner l’attention des subtils jeux de nuances et de teintes.

Ces carreaux, réalisés selon une technique ancienne et artisanale, sont l’exact opposé de la production industrielle qui cherche à gommer toute imperfection au nom de la rentabilité. Là où un carreau standardisé, parfait dans sa fabrication, incarne l’ennui et la monotonie, le zellige de Fès, cabossé et imparfait, avec ses défauts et ses repentirs, nous touche profondément. Comme si, en voulant tout contrôler, nous avions perdu l’essentiel de la magie. Quand la terre, trop purifiée, devient aussi artificielle que le plastique, quand les formes moulées sont strictement identiques, et quand le feu, si dompté, ne laisse plus aucune trace de son énergie sauvage, quelque chose se perd.

Ainsi, chaque jour, en regardant les murs de ma cuisine tapissés de ces petits carrés émaillés, je me rappelle de l’importance d’accepter l’imprévu, l’intervention de l’humain ou de la nature, et de voir dans ces contradictions une richesse. Ces modestes morceaux de terre cuite collés sur un mur, pourtant, exercent un pouvoir visuel si intense qu’ils deviennent une référence dans ma manière d’aborder toute création. Et comme je suis souvent déçue dès que je m’éloigne de cette logique, il y a fort à parier que je ne m’en lasserai pas de sitôt.